L’apprentissage : entre succès et effet d’aubaine

Alors que l’année 2021 a battu des records en termes de nombre de nouveaux apprentis (environ 732 000), il est essentiel d’étudier les raisons de cette nouvelle dynamique et d’analyser plus précisément ces résultats.
Une réforme qui change tout
L’apprentissage est une marotte française mise en avant par l’ensemble des dirigeants politiques depuis plus d’une décennie maintenant. Décrit notamment comme vecteur d’une meilleure insertion professionnelle des jeunes, le recours à ce dispositif n’a cependant pas était marqué par une évolution majeure entre les années 2011 (308 000 nouveaux contrats d’apprentissage) et 2017 (305 000 nouveaux contrats d’apprentissage).
Créations de nouveaux contrats d’apprentissage
2011 – 2021, France, en milliers

Cependant, on note une forte accélération à partir de 2018 et surtout 2020. Pour expliquer cette nouvelle dynamique, les acteurs de l’apprentissage pointent de manière unanime la loi Liberté de choisir son avenir professionnel (LCAP) votée en 2018, celle-ci jouant sur plusieurs leviers :
- Centralisation : La recentralisation de la compétence administrative de l’apprentissage vers France Compétences et
- Les Opérateurs de compétences (Opco). Le transfert du financement a eu lieu, lui, en 2020
- Accessibilité et lisibilité : L’ouverture de l’apprentissage à l’ensemble des jeunes de moins de 30 ans (auparavant, la limite d’âge était entre 25 et 30 ans en fonction des régions)
- Inclusion : La loi LCAP permet aux personnes en situation d’handicap d’avoir accès à l’apprentissage sans restriction d’âge
- Attractivité : une hausse de la rémunération des apprentis, couplée à la création du statut d’apprenti sans contrat permettant aux jeunes de chercher pendant 6 mois un employeur tout en suivant les cours théoriques
Une dynamique temporaire ?
Néanmoins, la hausse du nombre de nouveaux contrats d’apprentissages est surtout très perceptible en 2020 (526 000 contrats vs 369 000 en 2019). Cela s’explique naturellement par la mise en place le 1er juillet 2020 (dans le cadre du plan « 1 jeune 1 solution ») de la prime exceptionnelle aux employeurs d’apprentis, notamment en réponse à la crise du Covid-19. Celle-ci permet aux employeurs de toucher entre 5 000€ et 8 000€ (en fonction de l’âge de l’apprenti, versés mensuellement) pour chaque apprenti recruté. Compte tenu des niveaux de rémunération des apprentis, cette prime permet aux employeurs de réduire quasiment à 0€ le reste à charge des employeurs.
Même si cette aide est toujours en place, elle devrait prendre fin au 1er juillet 2022 (sauf nouvelle prolongation de la part du gouvernement) et demeure, dans tous les cas, temporaire. Personne ne connaît réellement l’impact que va avoir la fin de cette mesure sur le niveau des nouveaux contrats d’apprentissage, et donc par parallélisme, la part de « l’effet d’aubaine » de cette prime.
Une accélération contrastée
Si la hausse des contrats d’apprentissage est nette (732 000 en 2021 vs 305 000 en 2017, soit + 140 %) et que toutes les catégories de profils ont vu leur nombre de contrats progresser, elle a davantage profité aux jeunes déjà qualifiés (Bac +2 ou supérieur) qui ont statistiquement moins de difficultés d’insertion professionnelle. En valeur absolue, le nombre de contrats d’apprentissages pour les diplômés avec un niveau de formation à l’entrée de Bac +2 ou plus a progressé de 218 900 entre 2017 et 2021 contre 207 600 pour les autres apprentis.
Structure des contrats d’apprentissage par le niveau de formation à l’entrée des apprentis
2017 – 2021, France, en %


Ainsi, les premiers représentent la première catégorie d’apprentis avec 38,8 % du total en 2021 alors qu’ils n’étaient que 21,3 % en 2017. De même, cette hausse (et l’effet d’aubaine de la prime) a particulièrement profité aux employeurs de plus de 10 salariés : les contrats signés avec ces employeurs représentant 53 % de l’ensemble des contrats d’apprentissage contre 46 % en 2017.
Enfin, la part des contrats de 18 mois et plus est passée de 69 % en 2017 à 53 % cinq ans plus tard, soulignant ainsi la baisse de la durée moyenne des contrats d’apprentissage depuis 2017.
Des limites à l’apprentissage qui perdurent
Ces efforts gouvernementaux ont donc permis d’augmenter massivement le recours à l’apprentissage, particulièrement pour les jeunes qualifiés. Surtout, ces mesures ont nourri une dynamique positive sur le marché de l’emploi français comme l’indique une note de l’OFCE publiée le 17 mars 2022 : près de deux tiers des emplois totaux créés en 2020 et 2021 en France auraient été sous la forme de contrat d’apprentissage selon les auteurs.
Cependant, des problématiques intrinsèques à l’apprentissage demeurent, notamment concernant l’attractivité de certaines filières :
- Certains secteurs, peu attractifs, ont toujours beaucoup de mal à recruter (hôtellerie-restauration-café, BTP etc…)
- Le taux de rupture avant la fin du contrat d’apprentissage demeure important (1 sur 3 pour les peu qualifiés, 1 sur 5 pour les jeunes qualifiés) et extrêmement élevé dans certains secteurs (57 % pour la CAP services hôtellerie-restauration, 52 % pour le CAP employés de ventes alimentaires, 50 % pour le CAP plastiques et composites …)
Finalement, et même s’il sera nécessaire d’avoir davantage de recul pour tirer un bilan plus complet de la réforme de l’apprentissage, la question du coût pour les dépenses publiques liées à cette hausse du recours à l’apprentissage n’est pas neutre.
En effet, France Compétences, institution nationale qui régule et finance la formation professionnelle et l’apprentissage depuis la loi LCAP, devrait laisser apparaître un déficit de 3,4 md€ en 2022 après un déficit de 3,7 md€ en 2021. Plus encore, le coût de la prime exceptionnelle mise en place à partie 2020 est estimée à environ 8 md€ pour ces 18 premiers mois de mise en œuvre.